[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Texte intégral de ma tribune dans Le Monde - Aurelien Barreau Le combat écologique et social est perdu de sa victoire
Depuis quelques jours, les lanceurs d’alertes – quant à la situation dramatique de la vie sur Terre – sont la cible d’attaques ad hominem, de calomnies, de moqueries, d’insultes, de caricatures, de tentatives de discréditation, d’extrapolations délirantes, de procès en imposture ou en dictature … C’est très rassurant et plutôt bon signe : parce qu’il n’est plus possible de douter de la véridicité de la catastrophe écologique, un vent de panique semble souffler sur les plus réfractaires à toute forme d’inflexion systémique. Le déni n’étant plus tenable, il changent leur fusil d’épaule : tout leur devient acceptable, sans limite dans l’irrationnel et la mauvaise foi, pour ne surtout rien perdre en confort.
Il est étonnant que, chez certains, l’angoisse ne naisse pas du désastre en cours, qui est scientifiquement établi, mais du fait que la recherche de solutions soit enfin posée sur la table.
Il n’y a pas lieu de souligner le grotesque de la « dictature verte » menaçant l’ordre du monde. Le monde (au sens du foisonnement qui le caractérise encore) est précisément en train de se suicider et le cœur du combat écologique consiste à endiguer ce mouvement. Quand l’idée que la vie est plus importante que l’argent sonne comme « dictatoriale », c’est qu’une toute autre menace que le réchauffement plane également sur nous.
L’enjeu de la révolution écologique est simple : apaiser notre rapport au vivant, sortir de la logique de pure prédation, penser une « alter-croissance » qui valorise des valeurs plus profondes et épanouissantes que la seule possession de richesses matérielles impactant drastiquement l’état de la planète et l’existence des plus pauvres. En un mot : aimer la vie, penser l’avenir. Y voir les prémices d’une dictature – alors même que le monde est aux mains des Trump et Bolsonaro – relève de la grosse farce. Qui ne fait d’ailleurs plus rire personne : la vulgarité a fait son temps. En revanche, si rien n’est entrepris, il n’est pas exclu que les déplacements massifs de réfugiés climatiques, tels que prévus par l’ONU, conduisent à l’émergence de dictatures . D’un point de vue géostratégique, c’est même probable. Il s’agit justement d’éviter ces catastrophes. La tentative de renversement des faits et des desseins était quand-même un peu trop grosse pour passer inaperçue.
Il ne suffit pas de croire aveuglément au miracle de la technoscience – croyance issue d’une projection de la culture managériale. D’abord parce que tout laisse rationnellement penser qu’il n’aura pas lieu. Ensuite, parce que les morts ne renaitront pas et que rien ne fera revivre les espèces et individus disparus. Enfin, parce que la question dépasse la faisabilité : elle relève d’un choix. Voulons-nous pour demain d’un monde où le vivant est réifié ? D’un monde où des robots auront remplacé les abeilles ?
En expliquant ce que les scientifiques spécialistes savent depuis bien longtemps, les lanceurs d’alerte ont mis à jour la vérité de l’écocide en cours. Ce n’est pas une crainte, c’est un constat acté sur l’état du monde. Les écologues le rappellent : « la destruction de la nature est aussi un crime contre l’humanité ». Ceux qui portent le message sur la place publique seraient comme l’opposé de prophètes millénaristes : ils sont le relai des constats biologiques, climatiques et anthropologiques émanant des experts. Ils ne jouent pas sur les peurs : ils exposent les faits. On ne peut pas leur reprocher la gravité de la situation qu’ils dénoncent ! Les discussion sereines et honnêtes sur les solution possibles sont naturellement toutes bienvenues.
De presque tous les points de vue, le combat écologique est déjà gagné. Que le prisme soit scientifique, éthique, philosophique, esthétique, poétique … il ne peut pas être perdu. Il a, pourrait-on dire, choisi le coté de la vie.
Mais, car il y a un mais, du point de vue politique il sera presque certainement mis en échec. L’inertie systémique et les pouvoirs financiers sont quasiment impossibles à défaire. Même pour sauver la beauté du réel ou la survie de leurs descendance, ils ne lâcheront rien.
Ce qu’il faudrait faire pour ne pas effondrer la diversité de la vie, l’habitabilité de cette planète, est connu. Il n’y aurait, in fine, aucune véritable perte de confort, aucun retour à « l’âge de pierre », aucune dictature ! Moins encore un « totalitarisme » comme des articles outranciers le prétendent. À l’inverse, il n’est question que d’un peu de raison et de partage, de réappropriation démocratique et de souci du bien commun. Nous ne voulons détruire que la mort et la misère. Il est possible de gagner sur tous les tableaux : éviter le désastre écologique et amoindrir les injustices sociales. Il est pourtant presque certain que cela n’aura pas lieu. Cet infime pas de côté qui ménagerait l’avenir, nous ne serons probablement pas capables de le mettre en œuvre. Ils ont réussi à nous persuader que « presque rien », quand c’est hors des attendus du système, c’est déjà « beaucoup trop ». (À cette nuance près que les banques commencent à comprendre que les catastrophes écologiques vont coûter extrêmement cher et s’en inquiètent sérieusement …)
Quelques tropismes fondamentaux nous rattrapent ici et il semble que nous soyons incapables de les surmonter. Il ne se serait pourtant pas agit d’une bienpensance pauvre mais d’un nietzschéisme enchanté … Nous n’en sommes pas capables.
Alors, oui, les partisans de l’immobilisme mortifère vont, je crois, gagner les luttes politiques et économiques. Le rapport de force est presque infiniment en leur faveur. Et nous ne voulons pas user de la hargne froide ou de la violence dure dont ils font preuve dans l’invective. Le combat de coqs est triste et futile.
Mais Il nous reste tous les autres êtres-au(x)-monde(s). Et là, croyez-moi, nous avons gagné depuis longtemps. Nous avons gagné depuis toujours.
Courage à ceux qui vont poursuivre. Et, comme l’écrivait Aragon, bonheur à ceux qui vont survivre.
Aurelien Barreau
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