[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aurélien Barrau répond à quelques questions pour le Hors-Série 60 ans de FRC Où je réponds à quelques questions pour le Hors-Série 60 ans de FRC (Suisse) :
- Philosophie, astrophysique et environnement, comment concilier tout cela en termes de priorités?
--> Ne surtout pas choisir. Ne surtout pas hiérarchiser. Je me satisfais sans difficulté d’un doux chaos que j’espère créatif.
- Quelle trace l’être humain va-t-il laisser selon vous?
-->Sur le très long terme, sur les échelles de temps géologiques, il laissera une et une seule empreinte : une extinction drastique de la vie, sans cause géologique ni météoritique. Nous aurons été la seule espèce de l’histoire à avoir anéanti massivement les autres.
- De l’importance du langage. En climatologie, les notions scientifiques sont difficiles à appréhender, un certain hermétisme. Comment faut-il communiquer pour faire changer les esprits? Est-il nécessaire de simplifier le langage, quitte à perdre du sens?
--> Dans mon domaine de recherche, en cosmologie primordiale et gravitation quantique, les notions sont effectivement délicates à appréhender pour qui n’en est pas coutumier. En ce qui concerne la catastrophe écologique en cours, les analyses elles-mêmes sont évidemment très complexes. Mais je pense que les conclusions sont au contraire très simples. Et dramatique.
- Est-il nécessaire d’entrer dans le registre de l’émotionnel? Quelle en est la limite?
--> Je ne sais pas. A ce jour, toutes les méthodes pour conduire à une action à la démesure de la crise ont échoué. Je ne sais pas ce qu’il faut faire.
- Pensez-vous que la difficulté à appréhender ces faits fasse le lit des «sceptiques» ou le message est-il simplement trop difficile à accepter?
--> Les faits sont simples et clairs. Il faudrait peut-être d’ailleurs parler des négateurs plus que des sceptiques. Je pense que certains sont sincères et simplement mal informés. D’autre savent très bien où l’on va et décide que leur confort vaut plus que notre avenir.
- Comment la population peut-être trouver des personnes fiables et crédibles sur le sujet?
--> Mais il y a consensus scientifique sur ce sujet ! Arrêtons de fabriquer de faux débats ! À part quelques furieux irrationnels, tout le monde est d’accord sur l’analyse de la crise. Les informations sont absolument limpides, convergentes et aisément accessibles.
- Le problème dans cette crise est de mettre sur le niveau des faits scientifiques (des climatologues par exemple) et des opinions (politiques, par exemple). Comment analysez-vous cela?
--> Il y a d’une part un constat implacable et incontestable : la vie se meurt sur Terre. Ce n’est pas une prédiction c’est un bilan. Nous avons déjà perdu l’essentiel des populations sauvages en quelques décennies. La 6ème extinction massive est en cours. La disparition des espaces vierges, la pollution et le réchauffement climatique sont en train de dévaster la planète. Ici, rien à contester.
En revanche, évidemment, pour ce qui est des infléchissements ou révolutions à mettre en œuvre, il doit y avoir un débat politique. Et c’est normal.
- Vaut-il mieux embarquer une majorité de convaincus ou une minorité de leaders pour que les choses bougent enfin?
-->Je pense qu’il faut agir à tous les niveaux et essayer avec les armes et les compétences qui sont les nôtres. Mais on est toujours trop radical pour les uns et pas assez pour les autres. C’est usant.
- Quelle importance estimez-vous que le cadre législatif pourrait avoir dans la sauvegarde de la planète?
--> Je crois qu’il est essentiel. Nous sommes tous – et moi le premier – faibles. Mais nous sommes aussi parfois assez sages pour savoir que des lois limitant nos comportements trop nuisibles sont bienvenues voire nécessaires. Il ne s’agit pas de créer une dictature mais tout au contraire d’assurer la liberté de pouvoir vivre dans un monde qui ne soit pas dévasté.
- Auto-régulation de l’être humain, y croyez-vous? Comment serait-ce possible?
-->Non.
- Et la politique, croyez-vous à son réveil?
--> Plus vraiment.
- Vous avez évoqué le rapport de l’être au monde, du développement nécessaire d’une dimension symbolique comme moyen d’action. Pourriez-vous développer cette notion?
--> Je crois que beaucoup de nos gestes sont motivés à un certain niveau par le désir d’être aimé. Si nous « ringardisons » les comportements prédateurs – s’ils rendent leurs auteurs grotesques – je pense qu’ils n’apporteront plus rien et disparaitront en partie. Franchement qui, aujourd’hui, a envie d’être avec un ou une milliardaire décomplexé(e) se déplaçant en yatch ou jet privé ? Moi je trouve ça plutôt pathétique ou ridicule. Les chasses aux fauves en Afrique ont maintenant – à juste titre – mauvaise presse. Je crois que la pollution fière et arrogante va bientôt également jouer « à contre » pour ceux qui s’y adonnent.
- Est-ce que cela passe par l’invention d’un nouveau langage, comme «biophilie» au lieu d’«écologie», comme vous le proposez?
--> Le rôle des mots est considérable. Si on renommait « croissance » en « prédation suicidaire » ou bien « extinction massive » en « extermination programmée » ou bien « entreprise compétitive » en « société préférant ses actionnaires à ses salariés » notre ressenti changerait sans doute … Au-delà de ces exemples un peu caricaturaux, la pensée poétique est vitale pour ouvrir des possibles.
Dans d’autres domaines, comme celui de l’actuelle recrudescence du racisme, il est également essentiel de prendre soin aux mots qui peuvent devenir de véritables armes d’humiliation.
- Les écogestes: Bonne idée pour prendre ses responsabilités de manière individuelle ou futilité pour se donner bonne conscience?
--> L’un et l’autre. Il faut le faire. Et ne surtout pas penser que ça suffit. À problème systémique, solution systémique.
- On ressent aujourd’hui une forte envie d’agir? Comment profiter de cet élan?
--> L’envi d’agir n’est rien. C’est l’action qui est tout. Et elle fait totalement défaut. Pour le moment la seule et unique victoire que nous avons remportée est que le sérieux a changé de camp. Tout le monde sait que nous avons raison et que nous disons la vérité. Mais strictement rien n’a factuellement changé et chaque année est pire que la précédente.
- Quelle serait la pire option? Le laisser-aller cynique?
--> Oui. Mais les petits infléchissements qui mènent au même endroit en se contentant de décaler les catastrophes de quelques années ne valent guère mieux. Il faut une révolution.
- Au cinéma, on recourt au catastrophisme pour faire renaître une société meilleure. Si on suit le même raisonnement, un événement radical, comme une guerre ou une catastrophe permettrait-il de remettre les compteurs à zéro?
--> Je ne sais pas. Mais enfin s’il faut qu’on meurt tous pour commencer à aimer la vie ça n’a pas grand intérêt. Notre histoire est constellée de catastrophes et nous n’en avons rien appris. Le vingtième siècle a été un des pires de l’histoire et pourtant …
- Le miracle technologique pour sauver la nature et la planète, pourquoi est-ce que ça peut marcher ou non?
--> Le miracle technologique est une plaisanterie. Le sur-expansionnisme humain est aujourd’hui la première cause de disparition des espèces et des population. Ca n’a rien à voir avec un problème « technique » qui aurait une solution « technique ».
- Dans ce contexte, on voit apparaître des attaques sur la personne. Par exemple vous sur la pertinence de vos titres dans votre combat, Greta Thunberg sur son âge ou le fait qu’elle serait instrumentalisée. Comment jugez-vous ces techniques de dénigrement? Et comment les vivez-vous?
--> Ca montre que les climato-négationnistes « pêtent les plombs ». Ils paniquent. C’est à la fois rassurant et consternant.
- Quelle est l’importance de la légitimité d’une personne dans une situation telle que celle-là?
--> Faut-il être criminologue pour s’opposer à un crime ? Soyons sérieux. Il n’y a évidemment plus de débat scientifique sur la catastrophe et sur son origine humaine. Moi, je ne suis qu’un passeur. Je ne propose pas une nouvelle méthode d’analyse des données climatiques (j’en serais incapable) ! Je relaie, comme Greta, le message des spécialistes. Et, c’est vrai, je propose quelques pistes sociétales, en tant que citoyen, en tant que vivant. Pour décider du monde que nous voulons, un pâtisser, un physicien, un chômeur et un climatologue ont exactement la même légitimité.
- Dans ce contexte, la population est en recherche de leaders charismatiques pour les suivre. Qu’est-ce que ça peut montrer/dire de notre société?
--> C’est regrettable. Il ne faut pas « peopoliser » cette lutte. C’est pourquoi je refuse la grande majorité des interventions dans la presse, surtout à la télévision. C’est une guerre d’idées, pas d’égos.
- Quel regard portez-vous sur les mouvements des jeunes et étudiants? Est-ce leur rôle?
--> Je n’ai pas un très grand espoir. Mais, évidemment, je les soutiens. Il faut qu’ils inventent un truc complètement nouveau. Ils peuvent le faire. Extinction Rébellion est à suivre de près. Parce qu’il faut être réaliste : sans empêcher un système de fonctionner il est impossible de le modifier en profondeur. Ce n’est pas un parti pris idéologique, c’est un constat historique et politique.
- Chaque pays, association, instance politique ou non-gouvernementale y va de son sommet sur le climat, son manifeste, et propose donc sa vision propre des solutions. Ne serait-ce pas utile de mettre tout cela en commun avec une structure unique?
--> On ne peut se mettre d’accord que sur des infléchissements à minima. Or il est tout à fait certain que cela ne suffit pas du tout. Je plaide donc pour un activisme fractale : à toutes les échelles. Aucune, seule, n’est suffisante.
- Si on se projette dans 60 ans, a-t-on le droit d’être positif?
--> Non.
Enfin, oui, il y aura encore de la vie, il y aura encore de l’amour. Il y aura encore de la beauté. Donc, évidemment, tout n’est pas perdu. Mais tant de souffrances, d’injustices et de morts auront eu lieu que je trouve obscène d’envisager l’avenir avec sérénité.
- Voyez vous un véritable espoir ou nous contentons-nous de le cultiver?
--> Je ne vois aucun indice permettant d’être rationnellement optimiste. De toutes façons 60% des vivants sauvages ont disparu dans les dernières décennies. C’est déjà fait. Il n’en demeure pas moins que nous avons encore un immense levier d’action sur le niveau global de la catastrophe.
- Quels sentiments vous animent aujourd’hui?
--> Un peu de colère face aux chantre de l’immobilisme et de donc de la mort, un peu de tristesse face aux « alliés » qui se tirent dans les pattes au lieu de se soutenir, et beaucoup d’amour pour tous. Parce que si on perd la capacité à aimer, on perd vraiment tout.