[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Trisomie 21, les serveurs « extraordinaires » du Reflet À Nantes, ce restaurant emploie six cuisiniers et serveurs porteurs de trisomie 21. Il affiche complet midi et soir depuis son ouverture, en décembre 2016.
Une fois la porte du restaurant poussée, à l’élégante devanture noire, on se trouve plongé dans une atmosphère apaisée, accentuée par une lumière douce et une décoration soignée, mêlant bois clair et pierres apparentes.
Ce midi, Maxime accueille le visiteur, couvé des yeux par Thomas, gérant du Reflet, qui lui vient en aide pour retrouver le nom des convives sur le cahier de réservation.
Maxime n’avait encore jamais eu l’opportunité de travailler
Tenue noire rehaussée d’un tablier à rayures bien coupé, Maxime, 21 ans, est l’un des six serveurs ou cuisiniers « extraordinaires » – ainsi sont-ils qualifiés par leurs encadrants – du restaurant. Porteur de trisomie 21, il n’avait encore jamais eu l’opportunité de travailler.
Désormais, il accueille les visiteurs par un large sourire, prend les commandes avec application, saute sur le téléphone pour répondre et assure le service avec dextérité. « J’y arrive bien », glisse-t-il avec une pointe de fierté.
« Ils ont déjà fait d’énormes progrès. Je dois encore surveiller qu’ils ne se trompent pas de table, apportent bien du pain ou des carafes d’eau et ne débarrassent pas trop vite. Mais plus on répète ces rituels et plus les fondamentaux seront acquis », explique Thomas.
Des murs aux assiettes, tout est pensé pour accueillir du personnel atteint de trisomie 21
Après avoir travaillé pendant quinze ans dans de belles enseignes de la restauration nantaise, ce dernier souhaitait quitter le métier pour devenir formateur pour adultes ou éducateur spécialisé. Jusqu’à sa rencontre avec l’initiatrice du Reflet, Flore Lelièvre, par l’intermédiaire de membres de sa famille.
Architecte d’intérieur, la jeune femme de 26 ans a conçu ce projet de restaurant singulier lors de sa dernière année d’études à l’école Pivaut (spécialisée dans les arts appliqués), à Nantes, en 2014. « La plupart de ces travaux demeurent fictifs et, au départ, je n’imaginais pas qu’ils pouvaient se réaliser », confie-t-elle.
Mais sa maquette d’un restaurant pensé pour accueillir du personnel atteint de trisomie 21, allant jusqu’aux assiettes conçues pour être facilement transportées, suscite un vif intérêt. Le directeur de l’agence d’architecture, où elle effectue son stage et où elle travaille aujourd’hui, croit dur comme fer au projet et embarque avec elle toute une équipe.
« Un lieu de convivialité par excellence, un vecteur idéal pour faire évoluer le regard »
« On a formé un groupe de travail et on s’est réunis régulièrement jusqu’à ce que les choses se concrétisent », se souvient Flore Lelièvre. Au bout de quelques mois, l’association Trinôme 44, porteuse du projet, réunit suffisamment de fonds pour racheter un restaurant très bien situé dans le centre-ville de Nantes et y engager des travaux d’aménagement.
« Je voulais que ce lieu soit beau et qu’il valorise les salariés, poursuit Flore Lelièvre. Il n’était pas question que l’esthétique devienne accessoire sous prétexte que l’on entre dans le champ du médico-social. »
Sensibilisée très tôt à l’exclusion liée au handicap – son frère aîné est lui-même porteur de trisomie 21 –, la jeune femme voit dans Le Reflet « un lieu de convivialité par excellence et donc un vecteur idéal pour faire évoluer le regard ». Les employés ont d’ailleurs participé à la conception du lieu et, notamment, à la peinture des toiles exposées au plafond, avec l’aide d’un artiste.
« Je trouve ça bien d’avoir une vie normale… »
Pour les recruter, Flore Lelièvre et son équipe n’ont pas été débordés par les candidatures. « Comme c’est nouveau, je pense que certains parents attendent de voir si ça fonctionne avant d’y envoyer leur enfant », suggère-t-elle. Car il est tellement difficile d’obtenir une place en milieu dit « protégé », dans un Esat (établissement et service d’aide par le travail) par exemple, que les personnes en situation de handicap sont peu nombreuses à risquer de la perdre.
Ainsi, aucun des six employés recrutés en salle ou en cuisine n’avait d’expérience dans le secteur de la restauration, et la moitié d’entre eux n’avaient jamais travaillé. À l’image de Caroline, 25 ans, qui avait seulement effectué quelques stages dans un Esat. « Avant, j’étais beaucoup chez moi, confie-t-elle. Je trouve ça bien d’avoir une vie normale… »
Ce midi-là, Caroline est affectée à la plonge, tandis que Pauline s’occupe des desserts et que Marie-Noëllie assure le service des plats avec Farida, leur énergique chef de cuisine.
« Je ne pensais pas qu’on allait assurer à ce point-là »
« À l’époque où j’ai entendu parler du projet, je travaillais dans une crèche mêlant enfants valides et handicapés, et j’ai su que c’était fait pour moi », explique celle-ci, qui a déjà tenu son propre restaurant et prépare un diplôme d’éducatrice spécialisée. Auprès de ses cuisiniers, elle cumule les casquettes de chef, de formatrice, d’encadrante mais aussi d’« amie, confidente et un peu maman, parfois ».
Deux mois après l’ouverture du restaurant, dont les 36 couverts sont complets tous les jours, Farida se dit particulièrement fière de sa petite équipe qui travaille 20 à 25 heures par semaine et n’effectue qu’un service par jour pour ne pas s’épuiser. « Je ne pensais pas qu’on allait assurer à ce point-là, sourit-elle. La restauration impose d’être très rapide sur une courte durée, mais finalement, cela se passe très bien. »
Quand l’un des salariés se sent envahi par le stress ou un trop-plein d’émotions, elle sait comment dénouer la situation. « Une bise sur la joue, une blague ou une chanson et ça repart très vite, constate Farida. Cela demande beaucoup d’énergie, de patience et de remise en question pour s’adapter à chacun mais c’est tellement valorisant que je ne sens pas la fatigue… »
Amener les salariés « extraordinaires » vers l’autonomie et la prise d’initiative
Même sentiment pour Thomas, qui vit chaque service comme un « chef d’orchestre » attentif à la moindre fausse note. « Même si on arrive fatigué le matin, on repart avec le sourire, décrit-il. C’est l’expérience professionnelle la plus riche et la plus épanouissante qu’il m’ait été donné de vivre. »
Le souhait de ces deux encadrants : amener progressivement les salariés « extraordinaires » vers l’autonomie et la prise d’initiative. « Si dans six mois ils arrivent à effectuer seuls une tâche de A à Z, le pari sera gagné », explique Farida, avant d’être étreinte par Marie-Noëllie, au sourire communicatif.
Derrière le comptoir, Antoine, 31 ans, serre lui aussi très fort Thomas dans ses bras. « Moi, je suis le comique qui fait rire tout le monde », lance le jeune homme, prêt à commencer un pas de danse entre deux couverts, puis à porter le plus sérieusement du monde une assiette d’île flottante en direction d’un client, avant de désigner un convive par le nom d’un acteur de cinéma…
« On a vraiment l’impression d’un lieu qui éveille les consciences… »
En salle, Nadine, Brigitte et Françoise devisent, autour de leur tajine de poulet, sur l’ouverture du restaurant, qui a fait l’objet d’une couverture médiatique assez exceptionnelle. « On vient parce que c’est nouveau et par acte de solidarité, racontent-elles. Mais on reviendra parce que le service est rapide et que c’est délicieux ! ».
Plus loin, ce sont Bernadette et Marie-Jeanne, enseignantes spécialisées, qui viennent soutenir la démarche. « C’est bien de voir que l’avenir peut s’ouvrir ailleurs que dans un Esat pour les enfants que nous suivons au quotidien », se réjouissent-elles. « Pour l’instant, les retours des clients sont très positifs et bienveillants, constate Thomas. On a vraiment l’impression d’un lieu qui éveille les consciences… »
Le vœu le plus cher de Flore Lelièvre ? Que Le Reflet fasse des émules ailleurs en France et devienne, d’ici quelques années, « un restaurant comme les autres, où l’on mange bien et où, en plus, les serveurs sont sympathiques… »
Un projet savoureux
Budget. L’association Trinôme 44, née pour la mise en œuvre du projet, a récolté un budget de 700 000 € (dont 300 000 € de prêts bancaires et 400 000 € issus de dons de particuliers et d’investisseurs, notamment via la plateforme Ulule).
Cuisine. La chef dit concocter une « cuisine du monde savoureuse et raffinée », avec des produits frais. Parmi les plats à la carte : brandade de cabillaud, blanquette de veau fermier, pavé de saumon cuisiné à la grecque, tartiflette au reblochon, couscous, etc. Il est proposé à chaque service trois entrées, deux plats et trois desserts différents, qui changent chaque semaine.
Commande. Pour épauler les serveurs, les convives doivent tamponner sur un tableau en papier le numéro de l’entrée, du plat et du dessert sélectionnés. Même chose pour les boissons.
Horaires. Le restaurant est ouvert le midi, du mardi au vendredi, et le soir, du jeudi au samedi. Réservation conseillée.
Site.
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